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Passerelle de l’Allier à Vabres - 1er épisode - Témoignages

D 30 avril 2013     H 23:20     A mko     C 3 messages


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Nous entamons une série d’articles sur cette passerelle qui assurait la liaison entre le Velay, Alleyras et Vabres, le Gevaudan, vers Chambon le Château, Saugues et au delà, depuis le début du 20ème siècle. Nous faisons parler aujourd’hui Gérard Varlot, Madeleine Rodde, Alain Savy et Christophe Beau Léon qui nous diront ce qu’elle représentait pour eux et les anciens.

[blanc] Conversation avec Gérard Varlot du Couvent d’Alleyras [/blanc]

« On va d’abord situer cette passerelle. Donc elle avait été construite en 1936, ça j’en suis sûr. Et elle a été emportée au bout de quelques mois je crois en octobre. Il y a eu une crue. Mais pas la crue record qui date de 1862 (on peut voir la marque au coin de la maison de Germaine Vigouroux)... ils avaient dû la faire trop basse et donc ça n’a pas fait un pli. Ensuite elle a été refaite et inaugurée en 1936, à ma connaissance, on n’a pas d’images d’archives... »

Quels en étaient les initiateurs ?

« A l’origine c’était l’abbé Merle qui était à Alleyras, c’est l’abbé Merle qui avait demandé une passerelle. C’est pour ça qu’on l’appelait la passerelle du curé. Parce que lui allait faire les messes à Vabres et il passait par là. Et comme à l’époque il n’y avait pas les voitures, pas de gros moyens, c’était évidemment un sacré raccourci au lieu de passer par le Pont d’Alleyras. C’est évident. »

Pour les jambes c’était mieux.

« Bien sûr. Et il fallait remonter après... Après le vin de messe ! Donc bon, inauguration en 1936 et là elle a tenu quand même jusqu’en 1973. Elle a quand même tenu 40 ans, ça veut dire qu’elle était quasiment à la hauteur... de crue centennale. Il a fallu que cette année là en 73 ça monte encore plus. »

Il y avait quatre câbles c’est ça ?

« Oui on les voit sur les photos. De mémoire il y avait quatre câbles ? peut-être six... En tous cas il y avait deux câbles en dessous qui servaient à tenir les planches, qui étaient disjointes, à peu près comme des traverses de chemin de fer... »

Les enfants n’avaient pas peur ?

« Pas trop, c’est les dames qui avaient peur... Oui elles craignaient beaucoup la traversée, et surtout que c’était souple tout ça, comme c’était des câbles... »

Il y avait à peu près 100 mètres de longueur...

« Oh je crois que c’est beaucoup 100 mètres... il faudrait regarder... Quand on regarde les deux piliers qui sont toujours là... Donc 73 il y a eu une grosse crue... je crois que c’est l’année où il y a eu les fameuses crues sur la Loire à Brives-Charensac où il y a eu des usines emportées, des maisons... C’était une des premières fois où on commençait à se rendre compte qu’on avait construit à des endroits peut-être pas forcément très malins. Et donc l’eau est montée suffisamment haut pour que la passerelle se mette en travers, en arrondi, et ce qu’il s’est passé c’est que derrière tout ce qui flottait s’est arrêté et ça a fait une force colossale, et les beaux câbles qu’il y avait, parce que franchement ces câbles là on aurait pas cru qu’ils allaient pouvoir lâcher, ben les beaux câbles ils ont tous lâché. Ils ont lâché côté Alleyras et ils sont allés se coller dans le champ, côté Vabres, le long de l’Allier. Moi j’étais aller voir ce matin là. C’était impressionnant de la voir là. »

Tu étais donc là pour la crue.

« On a vu la crue oui. Moi j’ai quelques photos du pont de la Planche et du pont du Malaval, en bas , qui a été refait d’ailleurs, il n’était pas comme ça, les pierres étaient plus jolies mais il était étroit, les caravanes passaient tout juste... mais ça c’est autre chose... il était sous l’eau. C’était quand même impressionnant. L’Allier partait donc... de la route de la Varenne qui était à fleur d’eau, et ça allait jusque de l’autre côté , ça submergeait une partie de la route de Vabres enfin... pas toute la route de Vabres ,elle est un peu en dévers et on pouvait passer en voiture en serrant coté montagne. »

Et le pont d’Alleyras qui était en fer ?

« Et le pont il était en fer et... elle était pas loin dessous. Je peux dire qu’elle était pas loin dessous, et ça faisait un bruit... extraordinaire, surtout quand il y avait les gros morceaux de troncs d’arbres qui venaient taper sur les piles... pas très rassurant. Et à Poutès aussi c’était très impressionnant. À Poutès ça passait par dessus... les trucs qui passaient c’étaient... Quand l’Allier se déchaîne c’est quand même très méchant. »

Ca c’est donc l’ancienne passerelle... Alors est-ce qu’il y avait vraiment de la circulation ? Est-ce qu’elle servait vraiment ?

« Très peu. Très très peu. Il y avait des promeneurs, des habitués qui évitaient de faire le grand tour par le Pont ... »

On parle de quelle époque ?

« Personnellement de 60 à 70... 73 enfin... Puisque c’était toute mon adolescence. Moi je suis de 49, j’avais 11 ans en 60... »

Vous l’utilisiez, vous ?

« Nous , la bande d’ados de l’époque, on s’en servait régulièrement. On faisait ce qu’on appelait le Grand Tour. On se baladait, mais on faisait le ’grand tour’ le soir, le plus souvent. Soit on partait du pont, on montait sur Alleyras pour redescendre sur Vabres, soit l’inverse... »

Vous vous arrêtiez chez les gens pour boire des coups ?

« Non, pas nous [rires]... Non mais on récupérait les jeunes d’Alleyras ! Quelquefois ceux de Vabres venaient nous voir... ils étaient pas beaucoup... Mes cousines qui étaient des jumelles venaient jusqu’au Pont, assez de bonne heure, on partait, on faisait le tour, on montait sur Alleyras, on arrivait ici on récupérait des jeunes d’Alleyras, ceux qui étaient là, et on continuait, on descendait on prenait la passerelle, on arrivait sur Vabres et puis on retournait jusqu’au Pont. Alors à Vabres on laissait ceux de Vabres, on allait jusqu’au Pont puis du Pont ceux d’Alleyras... »

Du Pont d’Alleyras

Le Pont c’était un peu central ?

« Ah oui le Pont c’était la vie... la vie de la jeunesse était au Pont. Ça c’est clair . C’est amusant d’ailleurs parce que… tout a bien changé. »

Il y a encore ces souvenirs de fêtes du Pont dont tout le monde parle.

« Oui il y a eu un comité des fêtes qui a été créé à cette occasion là, au début des années 60 et... on s’éloigne un peu de la passerelle... Moi je participais chaque fois à la construction du bal parce que c’était un bal qui était à la place de la maison des chasseurs. Ils avaient fait le bal... »

C’était une salle en bois.

« C’était un parquet comme dans les villages... sauf qu’on rajoute des montants sur les côtés et on met une charpente et des bâches. Et puis voilà. Il y a eu quelques jolies fêtes dont le fameux... Henry’s qui est venu, Henry’s le funambule. D’ailleurs je peux dire qu’il y avait des voitures garées plus haut que la Beaume. C’était complètement fou. Il y a jamais eu tant de monde à Alleyras, jamais jamais jamais. Il y avait des voitures plus haut que Aussac. »

On a dérivé sur le Pont d’Alleyras mais c’était un ensemble puisque vous faisiez le tour...

« Ben les jeunes c’était là, et de tous les âges... c’était... exactement ce qu’on peut voir dans les rues d’Alleyras ces années-ci c’était ce qui se passait au Pont. Alleyras c’était... uniquement la vie agricole et « mort » quoi. Je sais pas comment dire... il y a rien de péjoratif, c’était comme ça. Et donc nous ça ne nous donnait pas envie d’aller y voir de plus près. Quand on est jeune…on ne... »

Il y était ce café dont on voit encore la façade un peu... le café Laffont.

« Non non. Il y avait des gens qui y habitaient mais c’était plus un café. Le dernier café c’était la Victoire, me semble-t-il. C’était dans la petite rue qui descend là, où ils ont ratiboisé les tuyas. Ils gênaient quand on descendait de la voiture. Presqu’en bas à gauche. Il y avait une cour et il y avait un café. Moi j’y suis allé la première fois que je suis venu à Alleyras, c’était en 59, j’étais gamin j’avais dix ans, et ils allaient discuter tout ça, et puis... ils allaient boire un coup là bas et donc j’allais avec eux et... moi je me rappelle que je mettais un petit peu de vin et d’eau, parce qu’il n’y avait pas grand chose, du vin, point ! Donc moi je mettais de l’eau avec, de manière à ne pas boire du vin que je buvais jamais. Un tout petit peu de vin pour rosir la flotte. Mais ça allait très bien. C’était très... très calme. Donc la passerelle pour nous c’était surtout ça. C’était évidemment une promenade obligatoire chaque fois qu’on avait des nouveaux venus... on était attrape-tout, c’est-à-dire tous ceux qui venaient en vacances, en location... il n’y avait pas de village vacances à l’époque, mais il y avait des locations dans les maisons... Et du précaire... Il y avait du camping sauvage. On a eu des copains qui sont venus plusieurs années de suite et qui faisaient du camping sauvage, au bord de l’Allier côté Vabres. Alors, on les emmenait voir nos merveilles : les cascades de Gourlon et d’Alleyras, le rocher de l’aigle, le rocher de Gourlon, de la Baume… la passerelle… »

Après la disparition de la passerelle

Parlons du manque... Bon, elle a été emportée par cette crue. On serait tenté de dire que depuis tout va a vau l’eau : il y avait déjà de moins en moins de gens... mais ce mouvement d’exode date de bien longtemps.

« Ah ben ça c’est clair. »

Alors on va pas dire que c’est à cause de la passerelle...

« Je pense qu’on peut pas le dire. Mais c’est vrai que malheureusement il n’y a pas eu de volonté de la reconstruire immédiatement. »

Plus d’énergie peut-être ?

« ...Ce qui aurait probablement pu passer à l’époque, en disant allez hop on demande des sous, on le fait et puis voilà... Vu comment elle était faite, les piliers étaient toujours là... Mais tout le monde n’avait pas envie de la refaire parce que c’était la trouille perpétuelle des mamans... Evidemment les gamins, immanquablement, montaient, et de là haut c’était quand même assez impressionnant parce qu’il n’y avait pas de garde-fou, on tenait juste au câble quoi. C’était à 7 – 8 mètres de haut environ. »

Ils se balançaient...

« Il y a pas de doute ! Nous on le faisait chaque fois. On était une bande, on traversait, on passait devant, et évidemment les filles demandaient qu’on ne fasse pas osciller mais quand elles étaient au milieu … des cris.... des rires... »

Est-ce que ça correspond à la vulgarisation de l’automobile époque où les gens se sont dit : maintenant il y a l’auto donc on fait 4 kilomètres on s’en fiche.

« Peut-être... mais enfin nous les jeunes on n’était pas du tout motorisés. Ils allaient pas la refaire pour nous. C’est clair que le curé devait avoir sa voiture j’imagine... »

Ou il s’arrangeait avec quelqu’un du village ?

« Peut-être oui, en tous cas on le descendait oui, c’était fini. De toutes façons il y a eu un curé dans ces années là qui avait une moto [NDLR : voir intervention de Mado]. Assez marrant d’ailleurs avec sa moto. Ça faisait un peu... sportif. »

Oui alors ce manque...

« Ce manque il est pas vraiment pour les gens du village, il y a eu très peu de gêne réelle pour le village. Et les temps changent. A l’époque, la notion de patrimoine était moins présente dans les esprits. Moi le premier. »

Là on parle du bourg.

« Oui, oh puis Vabres. Justement c’est les gens de Vabres que j’aimerais entendre pour savoir si vraiment ça leur manque ! Les anciens parce que 1973… Ça fait un bail !!! que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître... Aujourd’hui ça fait quand même 40 ans qu’ils l’ont plus... »

De Vabres, de sa béate, de son activité

Je suis toujours frappé par ces histoires de rivalité Vabres / Bourg...

« Des concurrences tout çà ? Entre Vabres et Alleyras pas tant que ça. Moi je n’ai jamais entendu beaucoup de choses entre Vabres et Alleyras. Le problème c’est que Vabres c’était le Gévaudan, le canton de Saugues tout ça, administrativement... Par contre entre le Pont et Alleyras, oui ! C’était la guerre des boutons version vellave !!! »

Dans les années 70 Vabres était une entité propre.

« Non le rattachement était fait. C’est en 65 que ça s’est fait. Un jour le conseil municipal de Vabres s’est sabordé et donc la fusion avec Alleyras s’est imposée. Il me semble qu’ils avaient eu des problèmes pour arriver à faire une liste suffisante, complète, ils avaient du mal et alors le préfet a accepté tout de suite, et il a pas du tout vu les problèmes qu’il laissait en place en acceptant sans donner d’obligations. Et des choses de fou ! Cette histoire d’être sur deux cantons différents... quand on est 200 personnes c’est quand même incroyable ! Et puis il aurait peut-être pu dire des choses genre... ’on rapatrie tout d’un côté’… ou de l’autre, probablement tout de ce côté-ci puisqu’il y avait plus de monde... Avant d’accepter le préfet aurait pu dire : c’est comme ça... »

Mais est-ce que les cantons avaient vraiment une signification à l’époque ?

« Par ici... tout est important et ça a toujours été très pauvre ici. Alleyras moins, mais Vabres était une commune très très pauvre...J’ai retrouvé aux archives départementales des documents d’un inspecteur qui était venu du temps de la béate, et qu’il avait un petit peu... inspectée, en fait, pour s’apercevoir qu’elle était niveau zéro, c’était ses conclusions. Très gentille d’ailleurs, il ne dit pas qu’elle n’était pas de bonne volonté et que ce n’était pas possible, mais il disait que ça semblait difficile qu’elle puisse apprendre à écrire à quelqu’un... C’était quand même un peu gros. La béate de Vabres c’est la seule dont j’ai des traces. On a son nom, son prénom, et donc voilà un petit peu comment elle avait été jugée. Et il avait écrit une lettre pour demander une école à Vabres, en disant que c’était une des communes les plus pauvres du département. En disant qu’ils faisaient une pauvre poterie, c’est d’ailleurs assez amusant par rapport à la renommée de ladite poterie aujourd’hui."

Ce qui est dit maintenant.

« Oui oui... ce qu’on essaye de dire que c’est beau parce que c’était... traditionnel, mais c’était quand même pas non plus des poteries... C’est pas moi qui vais tirer sur les poteries ! Et caméra ou pas ! Je peux parler de la poterie librement, mais il y a des Amis, à Vabres qui en ont une autre culture que moi, profane ! Franchement je suis à fond pour tout ce qui est local et a été fait par nos ancêtres... J’ai beaucoup d’ancêtres à Vabres. Mais n’empêche que c’était de pauvres poteries c’est-à-dire quand même pas quelque chose qui valait une fortune. »

Des ustensiles du quotidien.

« Oui et pas sophistiqués. Voilà. En plus, bon, si on regarde de très près la peinture dessus avant de cuire... et bien c’était au plomb et écologiquement tout-à-fait discutable. Ça venait d’Espagne. Il y a eu un très très gros article de 40 pages qui avait été fait sur la poterie de Vabres dans les Cahiers de la Haute-Loire, très intéressant. La terre venait des deux côtés et le mélange des deux donnait la qualité requise. Il y avait même des potiers au Pont. Et à Gourlong. Mais les plus nombreux étaient à Vabres. »

Il y avait une veine d’argile paraît-il.

« A Vabres et une autre à Alleyras. Si on prenait celle de Vabres ça marchait pas, si on prenait celle d’Alleyras ça marchait pas. Il fallait mélanger les deux pour que ça fasse un équilibre qui pète pas au feu. »

Un beau symbole.

« C’est vrai. C’est la preuve qu’il y avait bien besoin des deux. Il y a une anecdote amusante. Un jour, dans les années 1700 – 1720, on peut le retrouver, il y avait quelqu’un d’Alleyras qui est mort à Vabres, mais l’Allier était très haut, et il y avait pas de pont. Pas de pont, ni de passerelle ! Donc au bout de quelques jours quand même... et bien ils se sont dit qu’ils allaient l’enterrer à Vabres parce qu’il fallait faire quelque chose... Et donc le curé d’Alleyras est descendu au bord de l’Allier, le curé de Vabres était de l’autre côté et ils se sont criés pour se demander l’autorisation d’enterrer... parce que il y avait du sonnant et trébuchant derrière... Tout était payant. Par exemple on disait qu’on ne pouvait pas se marier jusqu’à 7 générations, dans le temps, ce qui était quand même en soi très bien vu la consanguinité, mais si on était à la 6ème génération et si on donnait la somme réclamée, c’était bon. 5ème c’était plus cher. 4ème c’était encore plus cher. Mais on pouvait quand même ! Et on y arrivait très bien. J’ai retrouvé des cousins germains mariés dans mes lointains ancêtres. Cousins germains ! Les deux pères étaient frères. C’est pour ça que moi-même je suis un peu... Bon, mais c’est quand même marrant de savoir que ça c’est passé comme ça. Donc c’est écrit dans le cahier paroissial de Vabres, c’est écrit que il a demandé au curé d’Alleyras, je ne me souviens pas des noms, la permission pour le sieur Untel... »


En violet c’est Alleyras

Est-ce que les deux diocèses dépendaient du même évêché ?

« Je ne peux pas dire... Ici on était dans le Languedoc, on n’était pas en Auvergne. C’est important. Le Velay était en Auvergne, c’est juste ce morceau là, c’est assez marrant parce que la frontière des cartes de l’époque est toute proche d’Alleyras... »

Le Puy c’était les seigneurs du Languedoc aussi.

« Peut-être mais je pense que le Puy c’était l’Auvergne. Par contre Pradelles par exemple était franchement dans le Languedoc et quand ils ont fait les départements Pradelles ne voulait même pas être en Haute-Loire. Et ça a chauffé sec. Ils essayaient d’empêcher, ils ne voulaient pas. »

La frontière s’arrêtait où alors ?

« J’ai pas trouvé de documents qui le disait... Ils donnent les villes mais pour dire si Alleyras ou... On prend sa carte on regarde on agrandit, et moi je pense que c’était entre Monistrol et Alleyras. Alleyras c’est sûr. En fait la vraie façon de faire est de passer par les évêchés. Il y avait un prieuré à Alleyras, c’était très important, il y avait un notaire à Alleyras. Il y avait 1000 habitants. Ça avait une autre importance qu’aujourd’hui. Pour en revenir à la passerelle, voilà, le manque il était déjà, on peut le dire, touristique, puisque c’était pas que les jeunes, tous les gens qui louaient venaient et passaient sur la passerelle. »

Est-ce que dans les années 70, période un peu hippie me semble-t-il... peut-être il y en avait aussi ici des gens des villes, des urbains...

« Il n’y en a pas eu par ici, il y en avait en Ardèche, ça se faisait beaucoup, des communautés, des villages quasiment entiers de hippies, une façon de vivre... et par ici pas trop. »

Cette passerelle servait-elle par exemple aux randonneurs ?

« Il y a en a sûrement eu mais il n’y avait rien d’organisé. Les chemins ont été remis en état il n’y a pas si longtemps que ça. En tous cas ils étaient pas du tout comme ceux qu’on voit très bien ici qui partent sur Pourcheresse... »

J’ai l’impression que ce chemin Vabres Pourcheresse était quand même très utilisé.

« Mais il existait ! Pour les potiers, c’était celui qui était utilisé puisqu’ils vendaient leurs poteries ’hors la vallée’ disait-on. C’était des marchands du midi qui achetaient ça, et tous les risques étaient pour le pauvre potier de Vabres. Ce qu’il cassait en route... il était obligé d’en amener plus puisque ce qui se cassait en route vu les pierres... et bien c’était tout pour le potier... Les gars payaient ’hors la vallée’. Et après ils prenaient en charge là haut, ils partaient je sais pas où et ils partaient avec. C’était leur problème. Mais toute la montée et dieu sait qu’elle était longue, en voyant un peu le chemin... Parce que là il est bon ! Il est magnifique là. C’était une abomination. Mais... de mon temps quand j’étais gamin le seul chemin qui marchait à peu près en partant de Vabres c’était de partir au dessus du rocher de l’Aigle et d’aller vers Romagnaguet. Et après de Romagnaguet on pouvait partir sur... Pourcheresse. Mais monter à travers comme ça... nous, gamins, personne nous l’avait montré. »

Il ne va pas direct à Pourcheresse d’ailleurs.

« Non il va à Sanis. Mais on descend de Pourcheresse on revient et on le rattrape. On a un croisement. Donc il y avait du tourisme mais il n’était pas organisé. Il n’y avait pas grand chose ici qui essayait de tirer... Le seul tourisme entre guillemets qu’il y avait c’était des pêcheurs. Pour moi la passerelle dans les années 70, de 60 à 70, elle était franchement... aujourd’hui on dirait touristique c’est-à-dire qu’en fait les gens du village pour leurs besoins quotidiens ne s’en servaient pas ou très peu. Oh j’ai des histoires... Louise Bouchalois qui est donc adjointe, elle venait au couvent et donc elle était de Vabres, et elle descendait par la passerelle. Elle dit qu’elle faisait entre guillemets le mur, et qu’elle foutait le camp, et ils la retrouvaient là bas et ils la remontaient. Mais dans les années 60 – 70 c’était devenu touristique, c’est-à-dire tous les gens qui louaient ou qui étaient en vacances évidemment ils passaient au moins une fois ou deux fois dans leur séjour sur la passerelle. Nous c’était plusieurs fois par semaine. C’est qu’il y avait des grottes là sous Alleyras. Elles sont peu connues. Voilà. »

On ne peut donc pas vraiment parler de manque.

« Non si manque il y a c’est dans les gens qui voudraient valoriser Alleyras, et ça c’est clair que je ne connais pas beaucoup de gens qui aient des envies de développer Alleyras sans penser tourisme, et sans penser que cette passerelle serait un plus gigantesque. Alors tout un chacun à moins d’être doux rêveur, sait qu’elle ne pourrait pas être reconstruite à l’identique, parce que 4 câbles aujourd’hui... des planches séparées de ça ou plus... c’est à peu près clair que, même si elle existait aujourd’hui je sais pas si il y aurait pas de temps en temps de fortes pressions pour la faire supprimer. Elle aurait peut-être été supprimée sans la crue en définitive. Si elle devait être refaite... parce qu’elle passait tout de même assez haut au dessus de l’Allier, 7 mètres au dessus... »

Il faudrait la refaire encore plus haute apparemment.

« Oui c’est ce que j’ai entendu dire. Alors j’ai vu personne de scientifique le dire... De toutes façons la crue du siècle la plus grande, j’ai retrouvé aux archives aussi sur un bouquin qui dit que c’était une crue dans les années 1600 et à mon avis c’est plus que deux mètres de plus d’après ce qu’il raconte, le village du pont d’Alleyras à un moment... ça a été chaud. Si un jour il y avait de l’eau plus haut que la passerelle même si elle était reconstruite à cette hauteur là... déjà je voudrais bien savoir qui serait assez nul pour aller dessus... ce jour là. »

Sauf si c’est un accident du style rupture du barrage….

« Oui bon là il y aura d’autres morts ailleurs... »

[blanc] Conversation avec Madeleine Rodde [/blanc]

« Mes souvenirs de la passerelle ce sont des souvenirs d’enfance. J’habitais Alleyras. Il nous prenait de temps en temps l’envie d’y descendre pour s’amuser au bord de l’eau. Nous descendions alors et traversions cette passerelle qui n’était pas toujours en bon état. Les 4 câbles supérieurs et inférieurs souvent nus. »

C’était à quelle époque ? Il y a eu plusieurs versions de passerelle, une première qui a été emportée et qui a été reconstruite...

« Oui sans doute, les souvenirs que j’ai lorsque j’avais plus ou moins dix ans, c’est une réfection à neuf. Car lorsqu’il y avait des vides entre les planches c’était très mouvant et élastique ! Nous accrochions nos petites mains sur les câbles supérieurs, posions nos pieds sur chaque câble inférieur et nous nous faisions une bonne partie de balançoire à plusieurs en réunissant nos forces. Tout cela en prenant soin de ne pas nous faire repérer par un adulte car c’était une grosse bêtise. »

Vous descendiez pour aller vous amuser à la passerelle ou pour aller vraiment à Vabres ?

« Oh les deux ! Souvent pour nous amuser. » 

Il y avait quoi à Vabres ?

« A Vabres il y avait des enfants qui montaient à Alleyras par cette passerelle pour rejoindre les écoles et ce toute l’année. A midi ils mangeaient dans leur famille, chez des cousins ou des tantes, ou alors avec un casse-croûte dans l’école. Si les intempéries étaient vraiment importantes ils prenaient pension deux ou trois jours dans la famille. »

Et quand l’Allier était très fort et grondait, qu’il faisait un peu peur...

« Et bien ça ne faisait pas peur. Moi j’ai pas eu conscience d’avoir peur. Et les enfants continuaient à monter et descendre. Pour eux c’était évident. Il y avait pas autre chose. C’était comme ça. Autant les parents que les enfants on était tous réduits... pour eux matins et soirs tous les jours de la semaine, lundi, mardi, mercredi, jeudi c’était les vacances, vendredi, samedi c’était école. Le jeudi et le dimanche ils restaient chez eux. »

A part les gamins il y avait d’autres personnes qui l’empruntaient ?

« Il y avait les pêcheurs, les familles qui se rendaient visite d’un village à l’autre, ceux qui allaient à Vabres oui. C’était le chemin d’Anglard et du Moulard... on n’allait pas imaginer d’aller passer par le pont pour arriver à Vabres, parce que c’était très long. Ça c’était le chemin évident. »

On y croisait peut-être des marchands ?

« Les marchands c’était des itinérants. Il y avait Oujoulat qui trimballait un balluchon de linge, qui venait de Saugues. Il vendait des mouchoirs, des torchons, des serviettes... du fil à coudre, ce qu’il avait dans son balluchon. Il venait à pied de Saugues, il faisait tous les villages et il vendait à domicile. Je ne l’ai jamais vu sur la passerelle, mais il l’empruntait sans doute. C’était déjà une personne assez âgée. Et on attendait Oujoulat. »

Il y avait d’autres marchands itinérants ?

« Je ne sais pas s’ils empruntaient tous la passerelle, mais il y avait le marchand de peaux de lapins qui passait de temps en temps, qui faisait peur à tous les enfants. Enfin... moi il me faisait pas peur mais il n’avait pas bonne presse parce qu’on disait aux enfants : si tu es pas sage le marchand de peaux de lapins va venir et t’emporter... Il criait et passait dans le village : Peaux de lapins ! Peaux de lapins ! Et il y avait également une dame qui venait je pense du Cantal, et elle venait à pied aussi, habillée tout de noir, avec un béret basque bien enfoncé, un look vraiment particulier, noir, et elle, elle raccommodait les parapluies. Elle passait dans le village avec une chanson qu’elle criait, et elle mimait en même temps avec son parapluie cette chanson. Et alors : elle balançait son parapluie noir, qui devait lui servir de canne je n’en sais rien, elle le balançait en l’air puis le déployait, il devenait énorme, et elle chantait : On ra – commod’ les pa – rapluies !!! C’était impressionnant. »

Venait-elle d’Aurillac ?

« Je pense qu’elle était du Cantal parce que j’ai jamais entendu dire qu’elle était de Saugues. »

Et elle avait suffisamment de clients ?

« Ah mais oui on lui donnait tous les parapluies à réparer, et le soir elle restait sur place. Le four banal était toujours chauffé en général, et elle allait coucher dans le four. Il y avait une couchette pour les itinérants. Quand arrivait une personne comme ça qui n’avait pas de gite elle dormait dans le four. Il y avait un petit aménagement sommaire. »

Le four marchait en permanence ?

« A ce moment là oui, mais plus tard et progressivement le village a abandonné la confection du pain car se sont installés deux boulangeries au Pont d’Alleyras et donc aussi les tournées dans tous les hameaux et villages. Par contre la tradition des paysans qui donnaient leurs grains au meunier pour le faire moudre tous les ans a perduré. D’ailleurs c’était la fête quand le meunier passait... parce qu’on montait dans son camion et on faisait le tour du village, et il nous laissait faire. Un camion à benne ouverte. Le meunier Estours venait de Chanteuges où il avait son moulin. »

Et la passerelle s’est arrêté de fonctionner.

« Lors d’une crue très importante dans les années 80... peut-être 70 elle a été emportée et n’a jamais été reconstruite. C’était à un moment où tout le monde avait sa voiture, alors on a arrêté de passer par l’Allier. Mais dans le temps la mère Sylvie, une grand-mère, racontait que la coursière, les coursières étaient des raccourcis, était très usitée puisque à l’époque l’Allier gelait complètement et on pouvait traverser la rivière en char attelé. Et dans les années 1880 ou 70, dans son enfance, étant de Vabres, les paysans transportaient avec les chars, et ce qu’on appelle aujourd’hui encore La coursière était un chemin carrossable puisque les charrettes attelées y passaient, tirées par les fameuses vaches Aubrac. Parce que les paysans riches avaient des bœufs, des paires de bœufs, mais les autres avaient des Aubrac qui était des vaches très polyvalentes et fortes. Bien constituées. Et parallèlement à la passerelle passaient donc des chars. La passerelle a du être construite à la fin du 19ème... je pense. Début 1900... je dis ça comme ça... Auparavant il y avait sans doute une barque. Je pense que c’est à la construction du chemin de fer qu’à cause de la disponibilité des matériaux, on a pu la construire. Logiquement. Auparavant les artisans ne manipulaient pas souvent de câbles de ce calibre... »

Quels étaient les points d’intérêt à Vabres pour les gens d’Alleyras ? A part les processions annuelles...

« Les processions oui... et puis pour aller voir la famille. Les familles étaient réparties sur plusieurs villages. Et puis également on allait à la foire du Chambon qui était fameuse. Jusqu’à une époque relativement récente c’était une belle foire. Les gens allaient beaucoup au Chambon. Moi j’ai surtout connu Costaros et Landos.. Mais les gens conservaient l’habitude d’aller au Chambon. A pied par le chemin qui monte par Saint-Vénérand, Pourcheresse, Romagnac... C’était pas si loin que ça à pied. Il y aussi le chemin qui monte par la barque à Romagnaguet. À la barque il y avait un câble aussi qui a disparu dans les années 60. Et on guidait la barque avec le câble. »

Il y a des histoires justement sur le passeur...

« Ah il y a des histoires... Il y a des traditions qui font que dans les familles... Il y avait des drôles d’histoires... D’ailleurs la foire au Chambon... il fallait prendre avec soi le nerf de bœuf. »

Ah d’accord.

« Un fouet terrible. Celui qui allait vendre ses bêtes là-haut quand il revenait... il devait bien être équipé de ça. » 

Il se faisait attaquer ?

« Oui quand les gens revenaient du Chambon, ils avaient de l’argent quand ils avaient vendu leurs bêtes, par conséquent ils étaient en danger. »

Ces bandits venaient d’où ?

« Ah ça ils se cachaient bien... »

Est-ce que ça pouvait être des gens du coin ?

« C’était forcément des gens du coin. Et pas forcément des brigands qui venaient de loin. On peut tout supposer. Il y avait un climat de méfiance. Et pas seulement ici d’ailleurs parce qu’au Puy... moi mes arrières grands parents de Saint-Privat avaient une charrette avec un cheval et une sorte de jardinière. Eux partaient vendre du fromage, des légumes, du lait peut-être... ils allaient à la place du Plôt et... ils ont été attaqués ! Un type qui s’était mis dans la jardinière, c’est-à-dire l’endroit où on s’assoie où il y a une sorte de coffre, et il s’était caché dedans et il a attaqué mes grands parents qui étaient bien équipés heureusement, ils étaient plusieurs, il a même eu du mal pour sortir de sa malle... Je crois qu’il s’est enfuit directement celui là... Les gens allaient toujours à plusieurs. Seulement le problème je suppose... ils allaient à plusieurs mais comme ils devaient boire comme il se doit, ils buvaient beaucoup là-bas dans cette foire du Chambon, et pareil quand ils avaient vendu leurs bêtes et tout ça, ils ripaillaient un petit peu. Mais ils passaient par la passerelle. »

Il paraît que l’initiative de construire une passerelle venait du curé d’Alleyras pour aller célébrer la messe à Vabres.

« Le curé ? C’est pas l’abbé Gazanion que j’ai connu ce serait un prêtre antérieur. Ou alors les paroissiens ont pris l’initiative pour le curé... Il y avait eu le curé Merle, le curé Boudoul et aussi le curé Blanc. »

Sur le curé Gazanion et à propos des religieuses

Il y en a eu un qui avait une moto paraît-il.

« Ah ça c’est le curé Gazanion. Ça c’est notre curé, c’est celui qui m’a fait faire ma communion solennelle. Lui la légende qui s’accroche à sa soutane... les enfants l’adoraient, il nous grondait mais ça ne diminuait pas nos sentiments, ce pauvre homme était atteint d’une maladie bipolaire, une maladie qui fait passer d’un excès d’optimisme où on libère une énergie très importante suivie d’une dépression. Lors de celle-ci tous les malheurs du monde lui tombait dessus, et il se sentait persécuté... Soit les communistes, soit les francs-maçons, il avait ses boucs émissaires, et des paroissiens qu’il n’aimait pas. Il nous faisait de temps en temps des ’éclats’... »

Pendant les prêches...

« Oui ! Alors des prêches... ça commençait : Mes biens chers frères, mes biens chères sœurs, aujourd’hui jour de la Trinité c’est une grande fête pour l’Eglise et puis... ça dérapait... On avait l’habitude de l’entendre dire qu’on lui en voulait à mort... Qui un communiste, qui un franc-maçon etc. Et alors cet abbé nous disait justement à propos de la passerelle... il avait décrété, il l’avait dit et il en était certain : on avait savonné la passerelle qu’il empruntait pour aller dire la messe à Vabres. Ce n’était pas du givre, ça n’était pas du gel, c’était bien du savon. Et ils avaient commencé, les vicieux, par l’échelle qui y accédait. Déjà l’échelle. Alors il s’est acheté une moto. »

C’est lui qui avait fait faire la salle des jeunes, la base du petit théâtre actuel ?

« Oui et merci à lui car il s’est sacrifié, il a tout donné pour cette salle, y compris son argent et ses biens personnels. Et Monseigneur l’Evêque s’était déplacé pour l’inauguration. La fête fut merveilleuse : le village pavoisé, des guirlandes multicolores de partout, de nombreux hauts parleurs qui diffusaient des airs d’Edith Piaf et des Compagnons de la Chanson. L’après midi un film avait été projeté. En plus sous un beau soleil. Il donnait beaucoup d’énergie et d’argent pour restaurer à Vabres l’autel de Saint-Grégoire. Saint-Grégoire, patron de la paroisse de Vabres ! Le pèlerinage du 5 septembre où on élisait les rois et les reines qui étaient les enfants du pays. Moi j’étais reine... alors il fallait payer pour être reine... et les garçons étaient des rois. Alors pour nous c’était une magie d’aller à l’église de Vabres par cette passerelle bien endimanchés pour aller au pèlerinage. Et là il nommait tous les enfants rois et reines de Saint-Grégoire. Et tu attendais ton prénom... ton nom. Il faisait une liste de tous les enfants pour que le saint les protège toute l’année. »

Tous les enfants étaient rois et reines ?

« Tous les enfants étaient rois et reines. Il suffisait d’aller au pèlerinage, de se faire inscrire et de payer. Et même une fois l’évêque était venu. Et généralement venait toujours un autre curé, de Saint-Préjet ou de Saint-Jean... »

Le paiement était élevé ?

« Non... c’était démocratique, et si vraiment on ne pouvait pas payer, que les parents étaient pauvres ou qu’il y avait eu des malheurs cette année là il ne les faisait pas payer. C’était très humain. Donc ça c’était Saint-Grégoire, ici à Alleyras c’était Saint-Martin le 11novembre, un peu plus triste. »

Celui qui avait donné son manteau au pauvre ?

« Voilà. Saint-Martin était très populaire et avait été popularisé par Saint-Grégoire. L’artisan de l’apostolat rural en Gaule au 4ème siècle selon mon encyclopédie... »

Pour revenir à cet abbé Gazanion, c’était tout un spectacle ?

« Un spectacle oui, et il était très aimé des enfants. On l’aimait beaucoup... Le premier de l’an il y avait une tradition ici comme dans beaucoup d’endroits, les enfants passaient dans toutes les maisons avec un panier pour ramasser des friandises. Des oranges, des mandarines, des sucettes, tout ce qu’on peut imaginer, et même du ’Quina’ qu’on n’aimait pas du tout... Mais alors chez l’abbé Gazanion, Bertin, on l’appelait Bertin, on allait chez lui il nous gâtait... ! On avait : un livre, une petite brochure, la vie d’un saint, pour nous c’était extraordinaire, on avait des bonbons, on avait du chocolat, on avait des mandarines, deux ou trois... De toutes façons quand on avait fait le tour de toutes les maisons... et il fallait pas en louper une, les gens n’aimaient pas ça... si tu boudais quelqu’un : tu n’es pas venu le premier de l’an et qu’est-ce qu’il y a ? C’est pas bien ça... Il y avait des maisons... où on n’aimait pas aller... Pour revenir au curé, on allait vider d’abord tout notre panier car quand on sortait de chez lui il était presque plein. On était heureux, vraiment heureux ! Et il nous en rajoutait... il allait en chercher dans son arrière boutique, il y en avait sur la table... il y en avait partout... C’était pas fascinant c’était pour nous merveilleux. Tout simplement. Il était très gentil avec les enfants. Tellement qu’un jour ayant accumulé un peu d’argent gagné par de petites représentations théâtrales que nous faisions dans la rue l’été, 12000 anciens francs en trois ans, nous avons choisi de les lui offrir à l’occasion d’un investissement imprévu pour redorer et réargenter les ciboires et calices de ses églises. Et puis il y avait les sœurs... »

Ces fameuses sœurs.

« Les religieuses. Il y avait trois sœurs. Les sœurs estimaient peu le curé et nous avions une estime moyenne pour elles. La sœur institutrice nous apprenait parfaitement à lire et écrire mais toutes ses élèves échouaient au certificat d’études. On ressentait encore dans ces années là les effets de la bataille entre les écoles religieuses et laïques... l’école du diable et celle du bon dieu... »

Du diable carrément.

« Oh il y en avait qui la traitaient d’école du diable. Nous c’était la laïque, la laïque c’était l’institutrice, et les filles généralement allaient chez les sœurs, et les garçons à l’école laïque. C’était comme ça. Pour la communion solennelle c’était une fête extraordinaire pour nous aussi, et là le curé Gazanion qui n’était pas satisfait que la fête religieuse se transforme en fête païenne, avec ses excès, et qu’elle prenne trop de place par rapport à la signification religieuse, l’après-midi aux vêpres entonnait un cantique qui s’appelait : A la Mort ! Alors c’était : à la mort ! À la mort pêcheur tout finira ! À la mort ! À la mort le Seigneur te jugera ! Et les sœurs n’aimaient pas ça du tout. Et en plus le curé chantait faux. Il commençait à la bonne note en général parce qu’il avait appris un peu de solfège... et puis ça déraillait, c’était des canards... et alors la sœur institutrice qui s’appelait Soeur Torrent devenait rouge cramoisi. La sœur Marie qui était la doyenne devenait blanche comme une serviette. Elle s’occupait de la pharmacie, des malades... et la sœur Marguerite, la cuisinière, était au service des deux autres. Elle adhérait à ses supérieures. Le curé leur lançait un regard noir. Et alors c’était la guerre à travers A la mort A la mort. Elles voulaient le laisser dans son... marasme, dans ses canards... les gens adhéraient plus ou moins, ils ne savaient plus quel parti prendre... les hommes baillaient à la tribune, les femmes priaient... les chanteuses, des jeunes filles, ne savaient pas quel parti prendre, celui du curé ou celui des bonnes sœurs. Mais quand il déraillait vraiment tout le monde venait à la rescousse et chantait A la mort. Et il ralliait tout le monde comme ça. Et puis on sortait et on avait oublié. Chaque année c’était le même problème. Et les séances de catéchisme... tu arrivais, on écoutait, on n’écoutait pas... mais le curé disait : Mes enfants venez avec moi on va faire la catéchisme, je crois en Dieu, je crois en Dieu, oui... credo credo... il passait ça à toute vitesse et puis s’adressant à mon frère Jacky : Tu viendras avec moi on ira voir au rocher de l’Aigle il y a plein de silex... La vallée de l’Allier était riche en saumons et il y avait des restes préhistoriques, et il allait nous faire chercher des silex, puisque c’était un abattoir. Les bêtes étaient traquées, précipitées du rocher de l’Aigle, et tombaient dans la vallée mortes, puis elles étaient dépecées. Donc il avait trouvé des silex. Dans un autre registre il a couru toute sa vie, tout son temps, après les deux cloches disparues du bourg. Il disait qu’on les avait enterrées. Donc elles étaient par là. Mais où on n’en savait rien. Il était authentique. Chez lui il n’y avait pas de machiavélisme. Il était malade bien sûr... »

Mais c’était un passionné.

« Il allait souvent aux archives départementales et à Paris de temps en temps. Un jour il est revenu tout effarouché de Paris... il l’a dit... Ah mes biens chers frères, mes biens chères sœurs, j’ai manqué mourir. Ils sont méchants ! Les parisiens sont méchants ! En fait un jour qu’il avait pris le métro il s’était trompé de correspondance et de sens, et au lieu de faire le tour par les escaliers, il avait traversé les rails et évidemment la police était venue le chercher. Il en était revenu catastrophé. Parce que normalement quand il revenait de Paris il avait trouvé des documents, un ouvrage pour toute l’année ou deux ans... Quant aux cloches elles ont du être fondues pour faire des canons... »

[blanc]Rencontre avec Beau Léon[/blanc]

Racontes nous ton anecdote sur la passerelle.

« C’est pas mon histoire. Tout a commencé par la rencontre d’une vieille personne qui voulait visiter l’église d’Alleyras, qui a trouvé portes closes comme bien souvent, et allez savoir pourquoi j’ai vu cette petite dame qui voulait visiter l’église qui avait l’air bien déçue, je lui ai dit : écoutez je vais vous chercher la clé et je vous fait visiter l’église. Ceci fait, elle a commencé à discuter un peu avec moi et...à me dire : vous savez vous me faites bien plaisir parce que j’ai connu Alleyras étant toute petite. Elle avait 7 ou 8 ans, c’était 1942, c’était la guerre, elle avait été envoyée ici par sa famille, parce que sa tante était je crois la sœur directrice du couvent d’Alleyras. Une femme très stricte, très sévère, qui l’était avec les enfants et particulièrement avec cette petite dame. Et elle en garde un très mauvais souvenir, mais... son passage ici est marqué en elle et elle voulait absolument revenir. Donc elle me contait cette tante qui était très difficile avec elle, mais elle avait son petit plaisir à elle, c’est que entre Vabres et Alleyras il y avait une passerelle, trois câbles d’acier tendus... »

Ca devait glisser l’hiver...

« Certainement puisque j’ai eu ouï dire aussi qu’il fallait aller chercher quelques personnes qui avaient bien bu le canon et qui savaient pas trop finir le passage de la passerelle ! Mais pour cette petite fille, sa tante passait devant elle et quand elle arrivait au milieu de la passerelle, elle savait que celle-ci avait le vertige, et son petit plaisir c’était de faire dandiner la passerelle. Parce qu’il n’y avait rien de plus facile à faire... Et elle avait le sourire aux lèvres quelques minutes avant d’être punie pour plusieurs semaines. Mais elle ne pouvait pas s’empêcher de le faire. Ça c’est du vécu et ces des histoires comme on aime les entendre. »


[blanc]Conversation avec Alain, Henriette, Gilles et Mickaël Savy au bord de l’Allier devant les restes de la passerelle[/blanc]

AS
« Je l’ai connu, j’y ai marché dessus, je me suis amusé, j’allais à la pêche quand il y avait le vent du Nord, on prenait des blancs là haut, le but c’était de monter là haut quand le vent soufflait. Quand c’est vent du sud c’est pas bon. »

D’après ce que j’avais compris je pensais que la passerelle était plutôt vers les rochers.

« Au début il y avait une barque plus bas. »

Le fameux passeur avec sa maison...

« Il y a plus que deux câbles en fait. Mais il y en avait quatre. »

Parlons de la passerelle à l’époque ? Mickaël tu y as été ?

« Sur la passerelle ? »

Oui.

« Ah non. »

Bon alors tu ne m’intéresses pas.

AS
« En 73 elle a été emportée. Moi je m’en souviens en 73. On ne pouvait plus déjà y passer avant. »

Qui y passait ? Le curé qui l’avait fait construire ?

« Oui. »

C’était le même curé qui célébrait les messes à Vabres et Alleyras.

MS
« Il y a un premier curé, d’Alleyras, l’abbé Merle, qui avait fait une passerelle plus bas. Elle a été emportée par la crue. Il a été tellement malheureux de plus pouvoir... parce que les gens pour aller à l’école devaient passer par la passerelle, après la fermeture de l’école de Vabres. Il n’a pas pu à ses frais la refaire, et il a créé une souscription et c’est les gens de Vabres qui ont payé. C’est Vigouroux qui a donné l’emplacement pour mettre la pile et c’est les gens de Vabres qui ont donné la main pour la construction... »

Il y a donc eu deux passerelles.

« La première était plus bas, au niveau des rails de chemin de fer. La barque était là. Mon grand-père était un des derniers bacheliers ici. La passerelle faisait environ 100 mètres et sa hauteur 4 mètres au plus bas de la flèche. Elle fut inaugurée en 1934. »

Qui y passait ? Il n’y avait pas de touristes à l’époque.

MS
« Des écoliers. »

AS
« Il y avait déjà l’agriculteur qui avait une propriété côté Alleyras. Mon grand-père. Quand il allait faner... »

Mais pas les éleveurs, les bêtes ne passaient pas dessus.

« Non non non. Que les humains , les chiens, les chats... ceux qui suivaient leurs maîtres. Mais ce qu’on appelle la rive là-bas il y a trois propriétaires, et nous on avait un joli pré. Donc quand c’était le moment de faner il fallait d’abord les couper et il passait sur la passerelle, quand il fallait chercher le foin il passait avec ses vaches. »

Mais entre le bourg et Vabres est-ce qu’il y avait vraiment des gens qui circulaient ?

« Il y en a eu à moment donné, quand l’école de Vabres a fermé, ils passaient là dessus. Tous les jours. Ce que disait Mado l’autre jour quand il faisait vraiment mauvais temps ou qu’il y avait trop de neige et que c’était trop dangereux , elle était en pension des fois un jour, deux trois jours là haut chez les sœurs. Après pour aller à la messe les dimanches les gens montaient là. Il y avait un pèlerinage aussi à l’époque. »

Parce que l’église de Vabres était déjà fermée ?

« Non elle tournait mais à Alleyras il y avait une messe, je me rappelle quand j’étais gamin, on y allait, c’était au moins une fois par an... Et je me souviens quand il y avait encore ce bar épicerie, après la messe les vieux allaient boire un canon, et ils vendaient des petits caramels carrés, on en trouve encore, on payait ça un centime. C’était bon ces petits caramels. Donc les parents nous payaient un petit caramel, deux caramels. On montait donc à pied. »

Les gamins de Vabres allaient à Pont d’Alleyras ?

« Pour s’amuser ? »

Non pour aller à l’école.

« Oui avant la guerre. »

Ils allaient chez les sœurs.

« Parce que Pont d’Alleyras faisait partie de la commune d’Alleyras. Nous on faisait partie de la commune de Vabres. Donc à Vabres il y avait Sanis, Pourcheresse et le Mazel. »

Et le pont de Vabres.

« Et le pont de Vabres. Mais le pont de Vabres faisait partie de la commune d’Alleyras. Nous Vabres on avait le village de Vabres, Sanis, le Mazel, et Pourcheresse. Ca c’était vraiment Vabres. Le pont de Vabres qu’on appelait le pont d’Alleyras en général faisait partie d’Alleyras. »

Et Saint-Vénérand c’est différent.

« C’est une toute petite commune. »

MS
« Le pont de Vabres à la création du pont en 1892 a été rattaché à Alleyras. »

Donc elle ne servait pas trop aux éleveurs cette passerelle c’est clair, il y avait plus d’éleveurs au bourg d’ailleurs.

AS
« Il y avait une petite partie touristique quand même avec des gens qui venaient se balader, pêcher et qui venaient faire la passerelle. »

Vers quelle année les gens ont commencé à se balader ? Les années 60, 70 ?

AS
« C’est vrai qu’il y avait des gens avant qui venaient et qui disaient : tiens on va faire la passerelle de Vabres. Ils venaient marcher dessus. Mais les gens montaient-ils là haut ? Certainement. Il y en avait quelques uns. Oui dans les années 60 – 70. Et peut-être avant d’ailleurs. Mais c’était pas un lieu touristique connu et reconnu. »

HS
« Moi j’ai pas connu cette passerelle. »

MS
« En 73 après la crue tu as les planches qui pendouillaient... »

AS
« Je suis en train de vous dire que ce deuxième câble là il y a une crue qui l’a amené le long de la berge... (…). Ce qu’il faudrait savoir c’est la date où mon grand-père a arrêté la ferme. Moi j’avais 13 ans. »


Ce qu’il reste de la passerelle aujourd’hui

Après qu’elle ait été emportée les gens de Vabres ont-ils ressenti un manque ou est-ce que ça n’était plus important ?

AS
« Elle servait déjà plus pour aller à l’école, elle ne servait plus pour commercer, elle servait plus à rien cette passerelle. Elle n’avait plus de raison d’exister. »

GS
« Parce que ça gagnait du temps à l’époque, après il y a eu la route qui a été refaite, parce que elle n’était pas comme ça. Donc ici ça ne se justifiait plus. »

MS
« Le dernier utilisateur vraiment c’est mon arrière grand-père quand il allait faner là bas. C’est le seul paysan qui avait une propriété de ce côté. Il l’utilisait parce que des fois l’eau était un peu haute, et avec ses vaches, qui elles, passaient tranquilles dans l’Allier. Mais il y avait des moments à l’automne ou au printemps où la passerelle lui permettait d’aller travailler là-bas. Il faisait aussi un peu de bois. »

Pas de manque ressenti mais une espèce de fatalité.

GS
« Aujourd’hui je suis sûr qu’elle y serait, touristiquement ce serait un plus. »

Si elle était reconstruite.

AS
« Dans les années 80 il y avait eu une tentative, ils voulaient la refaire... On parlait du désenclavement Velay Gevaudan. C’était uniquement pour ça. Avec des passages obligatoires. Aujourd’hui ça serait un désenclavement aussi Velay Gevaudan mais sur un plan touristique, balades. On pourrait faire une balade Pont d’Alleyras puis par ici, un circuit en boucle. »

HS
« Sur un plan touristique ce serait génial. »

Sur la vie à l’époque

AS
« Il faudrait un jour protéger l’existant restant, la tour de Vabres par exemple, la restaurer... La chapelle castrale du XIIème siècle, qui a été brûlée puis rénovée au XVIIIème (?). Elle est d’ailleurs inscrite au patrimoine des monuments historiques (?). Et puis les fours de potiers, essentiels pour l’économie de l’époque, dont pour le moment on essaie de protéger les restes. »

« Il faut savoir qu’à l’époque, avant 1960, les gens vivaient un peu en autarcie, avec deux chèvres, deux vaches, quelques brebis pour les plus riches, quelques volailles, quelques lapins, un peu de pêche, des légumes de leurs jardins, et les champignons qu’ils allaient vendre à Langogne chez Pellegrini. Le troc était général. L’eau courante venait d’être à peine installée, l’électricité était déjà là. Troc général sauf dans les épiceries, dans les bars, ou à la foire du Pont ou à Chambon. Il y avait trois bars à Vabres, une dizaine de commerçants au Pont. Il y avait aussi des gens de Clermont qui venaient par train pécher et ramenaient quelques charcuteries de chez Soignon. »


Merci beaucoup à Yvon Gacon pour l’extrait du film super 8 dont nous avons extrait l’animation qui sert de logo à cet article.

2 Messages

  • Super article, très intéressant ! Des témoignages précieux avec un super travail de retranscription de la part de mko. C’est très important pour nous les jeunes que nos aînés nous transmettent leurs savoirs sur l’histoire et le patrimoine d’Alleyras-Vabres (y compris les choses qui pourraient paraître anodines). J’ai appris beaucoup de choses en lisant cet article, aussi beaucoup de pistes à étudier, qui ont éveillé ma curiosité. Un grand merci à vous tous, j’attends avec impatience le second épisode !


  • J’ai bien connu la passerelle et l’abbé Gazanion, "Bertin".
    Le dimanche après midi il venait jouer à la pétanque en toute simplicité, Avenue de la Gare. Il y avait toutes les personnalités du PONT, de l’époque, en commençant par le Maire Raymond Cacaud et beaucoup de spectateurs !
    Je parle des années 60, les fameuses sixties où on s’amusait bien aussi, même au Pont d’Alleyras, les concours de pétanque, le bal à Saint-Préjet, à Monistrol, etc...
    Maman, aujourd’hui disparue, a été institutrice à Vabres de 1934 à 1945...
    Et Papa a fait partie de ceux qui ont construit le barrage de Pautès ( on a toujours dit "Pautès") ...
    Jean.


    • Que de souvenirs sont accrochés à cette passerelle ! Au moins trois générations d’ enfants des paroisses de Vabres et d’ Alleyras, sans compter les "touristes" réguliers, descendants d’ alleyrassiens ou de vabrais, en ont des centaines. Chacun à sa version des origines. Je pense qu’ il faudrait interroger des 60 ans et plus et surtout, ceux qui ont grimpé la côte Alleyras-Vabres presque à tous les jours, comme Dédée Barnier (tante des petits Savy), Raymond et Simone Vaille et d’ autres tel Ernest de "Batogne"( Hugony de son vrai nom). Quant au curé Bertin bien-aimé des enfants, et aux garces de soeurs du couvent, ma génération de baby-boomers et les plus vieux, auraient quelques tomes d’ histoires à raconter et là encore, ils y aurait bien des versions différentes ! Ma soeur j’ ai bien aimé ton compte-rendu : il ressemble à mes souvenirs. Les autres semblent ne pas avoir bien connu le temps de la passerelle et la vie de tous les jours des habitants. Le Velay n’ était pas en Auvergne dans mon jeune temps, en Haute-Loire, seul l’ arrondissement de Brioude l’ était. Le Velay avait l’ Evêque du Puy comme le seigneur. Ça, on l’ apprenait chez les soeurs mais ce n’ était pas au programme du certificat, on apprenait aussi à faire le savon avec du beurre rance et autres inutilités hors programmes.